L'échelle du Port de Saint-Martin n'est plus !
par Sébastien Périaux
15 août 2016

 

Dans la nuit du 6 au 7 août 2016, un pan gigantesque de la falaise au Port de Saint Martin s'est effondré, arrachant et écrasant l'échelle de métal qui permettait depuis des décennies aux Saint Martinais, estivants comme habitants, et aux amateurs de lieux pittoresques d'accéder à la mer.
L'éboulement s'est, semble-t-il, poursuivi les jours suivants.

Un coup de semonce avait été déjà donné quand au printemps, en amont, à quelques mètres de la descente, un pan de taille plus réduite s'était abattu, faisant disparaître les "grottes" qui servaient aux pêcheurs pour y mettre leur matériel à l'abri.
Les ânes et mulets de l'exploitation du galets, ainsi que l'outillage et leurs équipements, harnais et bâts, étaient parqués dans une grotte servant d'écurie du côté aval, vers les Petites-Dalles. Il y avait dans cette grotte la place pour quatre animaux.


Ce qui reste du Port le 14 aout 2016...

Une alarme avait retenti quand le galet lui même s'était totalement retiré de l'estran, laissant les flots saper la paroi calcaire. Des témoins s'en étaient vivement inquiétés d'ailleurs, annonçant que ce phénomène "n'était pas un bon présage".

Et voilà. Ce matin, 15 août, des géants de calcaire striés de silex gisent en contrebas, la descente est éventrée comme si elle avait été dynamitée. Les vagues calmes lèchent les premiers blocs qui ont roulé le plus loin. L’échelle est broyée, désarticulée sous une masse inerte. Le limon qui surplombait auparavant la paroi est désormais affaissé à quelques mètres du rivage.

Nouvel éboulis en juin 2016 ( source www.les-petites-dalles.org ).

L’estran sans son cordon de galet protecteur en janvier 2016 ( source www.les-petites-dalles.org).


La faille vertigineuse.

Le Port de Saint Martin était une descente plus que pittoresque. Elle était une voie encaissée dans une faille de la falaise, en bas d'une valleuse aux aspects irlandais par ses vertes prairies toujours rases, riantes aux printemps, fraîches en été, ventées à l'automne, et mordantes en hiver. L'on se souvient de ces tempêtes d'équinoxe qui transformaient la faille en un torrent de vent hurlant auquel répondaient les lames en contrebas venant se briser sur la grève. Il arrivait même que des galets remontent le boyau roulés par les bourrasques.

Promeneuse en robe longue dans la faille du Port.


Lavandière ou "laveuse" qui descendait le linge dans une hotte pour le rincer dans les sources de pied de falaise.

Autre vue de la corniche.
Après avoir descendu la valleuse où sinuait parfois après les orages un petit cours d'eau, on arrivait sur le terre-plain en haut de la descente qui se séparait en deux failles. L'une impraticable qui permettait aux eau de ruissellement de s'abattre dans une retentissante chute d'une quinzaine de mètres sur le galet. L'autre qui semblait s'enfoncer sans fin dans les entrailles de la craie pour enfin déboucher sur une corniche d'où descendait semblable à une échelle de coursive, une volée de barreaux de métal qui semblaient fragiles tant ils étaient rouillés.

Au 20e siècle,  les estivants se garaient en une longue files de voitures d’où sortaient lanais, caudrettes, paniers à bouquets, avant de descendre la marmaille sur le platier. Des amateurs de bain de mer et de bain de soleil étendaient leurs serviettes sur l’étroit cordon de galets.

En somme des gens qui préféraient l’intimité d’une petite valleuse encaissée aux plages ouvertes et alors bondées par les “juilletistes et aoûtiens”.

Au 19e siècle, cette corniche se prolongeait vers l'amont comme un chemin de ronde médiéval avant de laisser les promeneurs encostumés et les promeneuses en robe longue descendre par une échelle plus petite fouler la grève.


Les ramasseurs et ramasseuses de galets eux descendaient quotidiennement dans leurs rudes habits de normands cauchois industrieux et affairés.



Plus vieille mention de la descente de St Martin, 1625.
Quelques décennies auparavant, une arche monumentale surnommée l'Arche de Saint Martin "plus grand monument du littoral après celui d'Etretat" relate un guide touristique contemporain,  s'avançait dans le vide comme un arc de voûte d'église.

Elle reçut plusieurs noms : Descente de Saint Martin, Port de Saint Martin, Echelle de Saint Martin, "Le Port",  descente du Val, “Petit Port” et même "petite rade de Septimanville" racontent les cartes anciennes.


Ces noms montrent que le Port était autrefois l'accès principal des Saint Martinais à la mer, du moins pour ceux qui habitaient les hameaux du Val, de l'Eglise, du Marché, et de Tournetot. D'ailleurs des commerces au hameau du Val y attendaient le retour des pêcheurs d'estran.


Le Petit Port en 1824-25.

Le temps passe, la falaise recule, inexorablement. L'avancée de la mer est accélérée par la montée du niveau de la mer, due au réchauffement climatique, accélérée encore par l'augmentation de la pluviosité qui percole le calcaire et le rend friable et sujet au gel qui le fracture, accélérée toujours par l'arrêt du galet par des épis de plus en plus hauts sur les plages en aval qui dénude et expose la base des falaises aux ressac et aux grandes marées.

Il reste à rassembler les témoignages des cartes postales anciennes, les souvenirs des anciens, les vestiges des cartes, des cadastres de l'Empire et des terriers de l'Ancien Régime.

Il reste à attendre le travail de déblaiement de la mer pour peut être réaménager une descente à la mer, moins spectaculaire, moins intime que cette faille vertigineuse où des mains avaient gravé des noms, des voeux et des dates.

Le Port de Saint Martin était notre patrimoine.

Sébastien Périaux

Quelques photos récentes

7 juillet et 18 août 2016




Le premier éboulis juste en amont de l'échelle, photo prise le 7 juillet 2016.
Pierre Wallon

Le deuxième éboulis dans la nuit du 6 au 7 août, en aval. Photo du 18 août 2016.
Pierre Wallon

Autre vue de ce deuxième éboulis qui a emporté l'échelle. Photo du 18 août 2016.
Pierre Wallon
Sur les images que présente Sébastien Périaux ci-dessus, on constate que l'échelle a dû être de plus en plus longue au fil du temps. Cela est dû très vraisemblablement au fait que les marches, permettant d'atteindre le haut de l'échelle, ayant depuis longtemps été bétonnées, les pluies ne peuvent plus creuser le fond de la faille qui ne peut plus s'abaisser au fur et à mesure que la falaise recule, d'où une échelle qui doit être de plus en plus longue. On a voulu améliorer l'accès au platier et on l'a en fait rendu progressivement plus difficile !



Une photo prise le 18 août qui montre bien le haut de l'échelle surplombant le vide.
Maurice Kiehl