Statue de Rollon, jardin de l’Hôtel de Ville de Rouen.
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Rollon n’est pas au départ, et plusieurs
actes juridiques l’attestent, duc de Normandie, ni duc de Rouen. Il ne
règne pas sur un territoire, mais reçoit une mission de délégation de
la part du roi des Francs, mission qui d’ailleurs est précisée :
rétablir l'ordre gallo-romano-franc et chrétien sur ce territoire et
empêcher d’autres implantations barbares.
Rollon est donc très exactement ce qu'est au sens latin un comes, un préfet. D’ailleurs sous Rome, les deux titres comes et praefectus sont souvent interchangeables.
Sous les Francs mérovingiens et carolingiens, cette fonction ou charge
comtale devient peu à peu une dignité et un titre héréditaires.
Cependant les attributions professionnelles demeurent les mêmes : un comte administre une cité (civitas), regroupement de pays (pagi) au nom du pouvoir central.
Pour Rollon, la cité comtale est Rothomagus, la cité de Rouen, ou
civitas, qui regroupe en 911, le Roumois, le pays de Caux, une partie
du pays de Bray, et une partie du Vexin. La capitale gallo-romaine
Juliobona (devenue Lillebonne), n'est plus qu'un souvenir. Rollon est
donc, comte de Rouen, et ses propres comtes (les jarls) eux, deviennent
des vicomtes.
Cependant, au fur et à mesure que les Vikings assoient leur pouvoir sur
le territoire concédé, leur fonction se mue rapidement en dignité,
titre et exercice réel, avec l’assentiment du pouvoir central des
Francs. Rollon est rapidement un duc, qui règne sur la Normandie, et
ses jarls sont des comtes qui administrent les divers comtés reçus,
comtés qui reprennent les subdivisions gallo-romaines de façon très
précise.
Au plan local, ce système d’allocation des terres suit le même modèle.
Les terrains occupés sont laissés occupés, les terrains vacants ou
friches sont alloués, sous le contrôle des comtes et du duc à des
colons vikings, et les exploitations existantes - mais sans
propriétaires gallo-romano-francs en fuite ou décimés - sont allouées à
d’autres Vikings.
Pour ce faire, la noblesse normande s’appuie sur le seul cadre
juridico-administratif qui existe, la structure et l’administration
diocésaine de l'archevêché de Rouen, héritière comme tous les autres
archevêchés de Gaule des structures administratives romaines.
C’est très précisément ce qui explique l’usage de VILLE ou de TOT :
- Les domaines agricoles existants, actifs ou libres deviennent des toponymes en VILLE.
- Les terrains en friche, libres, deviennent des toponymes en TOT.
Il est à noter que les toponymes qui reposent sur le mot scandinave de
domaine agricole BONDEGÅRD (de BONDI, le paysan, le cultivateur et
GÅRD, le domaine) sont rares. On les trouve essentiellement dans les
Bondeville (Notre-Dame-de-, Sainte-Hélène-) et plusieurs La Bonde dans
la Manche, autre lieu d'implantation intense.
A Saint-Martin-aux-Buneaux on relève plusieurs toponymes en VILLE :
- Septimanville (hameau sur la partie orientale de la commune),
- Ermonville (hameau sur le terrage de Vinchigny au 17e siècle),
- Epreville (ferme ou ancien manoir sur la partie occidentale de la commune).
Et plusieurs toponymes en TOT :
- Tournetot (hameau sur la partie méridionale de la commune),
- Raffetot (lieu-dit à la lisière du territoire de la commune, où commence celui de Venesville).
Premier extrait d’une carte estimée 1650-1750 montrant Épreville, Septimanville et Tournetot.
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A cause des innombrables échanges de
parcelles foncières qui ont eu lieu entre 911 et 1789 entre
propriétaires, il est très difficile de déterminer l’origine exacte des
noms de lieux.
Épreville, écrit anciennement sprotivilla signifie le domaine agricole
de Sproti ou Sprota. Il porte le nom d'une commune située non loin,
dont famille ARNOIS portait le titre, et qui était également
propriétaire à Saint-Martin-aux-Buneaux. Au 16e siècle, Épreville était
le nom d'un fief situé à Saint-Martin selon Bigot, président du
parlement de Normandie. Ce n’est pas le cas en 1503 lors du recensement
très précis des fiefs et arrières fiefs du pays de Caux demandé par
François 1er. Il faut donc supposer que le fief d’Épreville est apporté
par l’implantation de la famille Arnois qui apparaît comme seigneurs de
Saint-Martin-aux-Buneaux vers 1525-1530. Ce nom de fief en masque un
autre qui figure parmi la liste des six fiefs nobles de 1503.
Septimanville écrit anciennement sedemanvilla (1040) signifie le
domaine agricole de Sedeman. Sedeman peut être un nom franc, ou un nom
viking. Il est parfois écrit Sideman.
La plupart des mentions de Septimanville dans les actes anciens se
rapportent à des personnes ou des lieux en relation avec
Saint-Martin-aux-Buneaux. Il est donc logique de supposer que le
toponyme Septimanville se rapporte bien au hameau de Septimanville.
Septimanville est d’ailleurs bien un fief noble recensé par le
registre des fiefs et arrières-fiefs du pays de Caux.
Sideman ou Siduman signifie l’homme du front, de la frontière peut être
également une traduction littérale de Budenicus, le garde-frontière
gallo-romain, Budenicus étant également attribut du dieu
gallo-romain Smertos/Mars. Ce bilinguisme norrois et gallo-romain
est relativement curieux, mais fréquent sur le littoral du pays de
Caux, il fera l’objet d’une étude spécifique. Il peut tout simplement
provenir d’un équivalent germain ou plus précisément saxon, Sideman,
l’implantation saxonne ayant été commune sur le littoral. Une étude
expose d’ailleurs la difficulté qu’il y a de distinguer des toponymes
scandinaves des toponymes saxons tant ils sont graphiquement proches.
Ermonville semble provenir de Ermenonville qui apparaît parfois sur des
lignages anciens comme une version légèrement différente de
Ermenouville. Ermonville ici est décrit très clairement comme un hameau
sur le terrage de Vinchigny dans les comptes de la fabrique de
l’église. Il comporte une rue, la rue d’Ermonville. Il semble là encore
que ce toponyme ait été apporté par la famille Arnois, originaire de
Ermenouville, et plus précisément du château d’Arnouville, qui en porte
le nom (ARNOU-VILLE). Deux origines peuvent venir éclaircir ces
origines confuses.
- Racine ARN du prénom viking ARN, qui signifie aigle.
- Racine ÄRN du mot germanique qui signifie nourriture.
Dans le premier cas, ARNEMAN signifie l’homme de ARN, ou l’homme qui s’appelle ARN.
Dans le deuxième cas, ÄRNEMAN signifie l’homme nourricier, celui qui produit de la nourriture.
Il est à noter un lien avec ERNEVILLE, un hameau situé non loin de
Saint-Martin-aux-Buneaux, sur la commune de OUAINVILLE, ainsi qu un nom
de famille, LINTOT D’ERNEVILLE qui semble avoir le même blason que
celui retrouvé récemment en façade de l'ancienne demeure seigneuriale
et aujourd’hui mairie de la commune.
Or, des LINTOT sont bien seigneurs de Saint-Martin-aux-Buneaux. JEAN DE
LINTOT est mentionné en 1450 comme seigneur de Saint-Martin pendant ou
après l'occupation anglaise. Son fils CHARLES III DE LINTOT est en 1503
seigneur de Septimanville, tenu du roi, et il épouse une Jeanne
d’Erneville.
Il n’est pas impossible que Ermonville soit l’autre nom du fief d’Épreville puisque les deux se rapportent aux Arnois.
Tournetot, anciennement écrit Tornetot (1244) provient soit de
Thornsten Tofta, la parcelle de Thorsten - Toustain en normand -
ou la parcelle de thorn, l´épine.
L’hypothèse souvent rencontrée de Thurold Villa est très improbable,
car le cas Thurold Villa est attesté en Therouldeville. On ne voit pas
comment un toponyme situé à 10 km aurait évolué d'une façon si
différente. De plus le hameau de Tournetot est sous l'influence fiscale
et ecclésiastique de Auberville, siège des Toustain (branche de
Bleville). On peut également envisager le prénom féminin Thorunn, mais
la propriété foncière des femmes est un sujet très évanescent qui
n’a pas été étudié. Des femmes peuvent être propriétaires sous
l'assentiment de leur mari. Cela dit, les actes anciens disponibles ne
montrent pas de trace d’un hypothétique Torunetot.
L’autre hypothèse plausible est celle de Thorn Tofta, de domaine de l’Épine. Deux indices pèsent en faveur de cette hypothèse :
Il y a bien un Épineville sur la commune limitrophe (Spinivilla) de
Vinnemerville et les de l’Espinay (branche de Saint Luc) sont
liés à l'histoire de Saint-Martin-aux-Buneaux. Là encore, il faut
supposer un bilinguisme qui utilise indifféremment la version norroise,
Tournetot, ou la version latine Spini-acum. Il faut noter que dans ce
cas, le Spiniacum/L’Espinay serait bien antérieur à l’implantation
viking puisque le toponyme reprend un suffixe gaulois iacon équivalent de villa. Et dans ce cas là, le mot Spina (l‘épine) est un nom de personne et non un nom de chose.
L’usage de Thorn l’épine est fréquent.
- Tournegate (la rue de l’Épine) à Elbeuf-sur-Andelle,
- Tournebosc ( le bois de l’épine).
Mentions topographiques :
— Apud Tornetot, 1244 (Arch. S.-M. 19 H — Cart. f. 71).
— Tournetot à Vinnemerville par. lim., 9-4-1464 (Arch. S.-M. tab. Rouen).
— Tournetot à Saint-Martin-aux-Buneaux.
— 1/8 fief relevant de la chât. de Néville, 25-4-1551 (s. réf.).
Second extrait d’une carte estimée entre 1650 et 1750 montrant Tournetot, Venesville, Vaudreville, Vinnemerville et Epineville.
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Raffetot provient probablement de Radulf-Tofta, la
parcelle de Radulf (Raoul en français, Ralph en anglais) pour la simple
raison que le lieu-dit est juste entre Saint-Martin et Venesville,
propriété au Moyen Âge des de Raffetot de Canouville, Canouville étant
une commune limitrophe de Venesville. Une femme, Mauldie, épouse d’un
Radulf, lègue en 1244 à l’abbaye de Valmont la moitié de ses champs
situés à Tornetot et Vyceny (Vinchigny), mais on peut objecter que les
Radulf (ou “Raoul) sont légion à cette période du Moyen Age. En
revanche un fragment du terrier de Canouville disponible aux archives
départementales montre bien l’extension des terres des seigneurs de
Canouville sur les terres de Venesville.
Enfin les très nombreuses mentions Raphetot dans la topographie pèsent définitivement en faveur de Radulf :
— Ecc. de Raphetot, 1164, 1177 (Glanville II, 323-324).
— In ecc. sancte Marie de Raphetot, 1177 (Glanville II, 325).
— Ecc. de Raphetot cum omnibus pertinentiis suis et decimis totius parrochie, 1180-1182 (Rec. Henri II, II, 206).
— Ecc. de Rafetot, 1184 (Glanville, 384).
— Unum feodum de comitatu de Clara apud Herdoic et apud Bosevillam et apud Bolevillam et apud Rafetot et apud Bolebec, vers 1210 (H. Fr. XXIII, 642).
— Rafetot, vers 1240 (H. Fr. XXIII, 225).
— Presb. de Rafetot, 1228 (Arch. S.-Mme. 18 H).
— Raphetot, 1254 (Arch. S.-Mme. 18 H).
— Symon de Rafetot, 1269 (Arch. S.-Mme. 18 H).
— In par. de Rafetot, 1271 (Arch. S.-Mme. 18 H).
— Par. de Raffetot, 1280 (Arch. S.-Mme. 25 H).
— Rafetot, 1319 (Arch. S.-Mme. G 3267).
— Raffetot, 1337 (Longnon, 27).
— Raffetot, 1431 (Longnon, 85).
— Raffetot, Un fief ou portion de fief assis à Raffetot et Yébleron, tenu de la bar. de Hallebosc, 1495 (Deville-Tancarville, 369).
— En la par. de Raffetot, 1/2 fief de h. nommé le fief de Raffetot tenu de la châtel. de Lillebonne, 1503 (Beaucousin, 197 — vic. de Caudebec, serg. de Bolbec).
— Id., 1532 (La Roque IV, 1693).
— Sgrie à J. de Canouville, 1551 (Arch. S.-Mme. C 2798).
— Sgrie à J. de Canouville, 18-11-1554 (Arch. S.-Mme. tab. Rouen)
En conclusion, au contraire des Septimanville Épreville/Ermonville,
centrés autour d’un fief noble, d’une famille noble et des vestiges
d’une demeure noble (se rapporter à l'article sur les fiefs et maisons nobles de Saint-Martin-aux-Buneaux,
Tournetot et Raffetot sont soit des extensions de propriété foncière de
propriétaires voisins (Canouville, Auberville) sur le territoire de
Saint-Martin, soit carrément des aires non bâties.
Cette opposition confirme bien la différence nette qui existe entre
VILLA et TOFTA. L’usage des administrateurs ecclésiastiques sur
lesquels les conquérants et colonisateurs vikings se sont appuyés n’est
donc pas anodin. Il souligne au contraire la volonté de bien préciser
le mode de présence foncière, et la relation entre la terre et son
propriétaire.
On trouvera ci-dessous en illustration de cet article un extrait du
cartulaire de Valmont (archives départementales de Seine-Maritime) qui
est une donation en 1244 par Mauldis (Maude) Campion dit La Campionesse
de quelques acres de terre à l’abbaye de Valmont dont
Saint-Martin-aux-Buneaux relevait.
En encadré bleu, deux toponymes romans, vyceny (Vinchigny) et Sancti
Martini ad burneals (Saint-Martin-aux-Buneaux), en encadré rouge deux
toponymes normands tornetot (Tournetot) et sedemanvilla (Septimanville).
Il est clair qu'il y a des mentions plus anciennes ailleurs pour notre
village de Saint-Martin-aux-Buneaux et des mentions de Septimanville
plus anciennes mais elles ne sont pas accessibles au public.
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Sébastien PERIAUX
Source
- Jean Renaud
- Vikings. Des premiers raids à la création du duché de Normandie, Ouest-France, Rennes, 2016.
- La Normandie des Vikings, éditions OREP, 2006.
- Vikings et noms de lieux de Normandie. Dictionnaire des toponymes d'origine scandinave en Normandie, éditions OREP, 2009.
- Archives départementales de Seine-Maritime, manuscrits, cartulaires.
- Dictionnaire topographique de la France, Éditions
du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques - Collection de
documents inédits sur l'Histoire de France.